samedi 8 mars 2025

Junil de Joan-Lluís Lluís – avis de lecture

 


Résumé :

« À l'aube du premier siècle, aux marges de l'Empire romain, la jeune Junil travaille dans la librairie de son père tyrannique. Elle fabrique des rouleaux de papyrus aux côtés d’esclaves qui lui apprennent à lire. Les vers du grand Ovide, surtout, éveillent en elle des émotions puissantes.

Bientôt contrainte de fuir l’Empire, Junil embarque avec trois amis esclaves dans un voyage périlleux au cœur des terres barbares. Mais qui sont au juste ces barbares ? Et si, au bout du chemin, ce n’était nul autre que le poète exilé, Ovide en personne, qui les attendait ?

Junil est un conte moderne, le récit d’une quête de liberté et de tendresse face à un monde implacable. Avec ce roman devenu un véritable phénomène public en Catalogne, Joan-Lluís Lluís nous offre un hommage vibrant au pouvoir émancipateur des histoires. »

Junil est un roman catalan de Joan-Lluís Lluís, connu pour ses romans et essais en catalan. Il s’agit d’un roman historique qui se déroule à l’époque romaine. Junil est une jeune fille dont le père, abusif, envisage de la vendre comme esclave ou de l’envoyer dans un bordel. Ce père tient une librairie à Nyala, où Junil apprend le métier en côtoyant des esclaves et des hommes libres, parmi lesquels un poète et un ancien gladiateur. L’un des esclaves, Trident, lui enseigne la lecture, et elle se passionne pour la poésie d’Ovide, qui fait partie des ouvrages de la librairie.

À la suite d’un événement, Junil et son entourage – Trident, Ovide et Dirmini le gladiateur – doivent fuir Nyala. Ils et elles se lancent alors dans une aventure à la recherche du pays des Alains.

C’est une belle histoire d’aventure avec de nombreux personnages, chacun et chacune portant en soi un passé marqué par l’oppression ou l’esclavage. L’entourage de Junil découvre la liberté pour la première fois, malgré les dangers omniprésents du voyage. Bien que l’intrigue se déroule sous l’Empire romain et que les protagonistes quittent ses frontières, il ne s’agit pas d’un roman politique, mais plutôt d’un récit d’aventure, d’amitié et parfois d’amour.

Cependant, je ne qualifierais pas ce livre de roman historique à proprement parler, car il est difficile de situer précisément les villes et villages mentionnés, à l’exception de Tomis – l’actuelle Constanța en Roumanie. Tomis est évoquée dans le récit pour raconter l’histoire d’un personnage, mais l’intrigue ne s’y déroule jamais.

J’ai trouvé intéressant que l’esclavage soit présenté comme une réalité tellement ancrée dans l’Empire que les personnages eux-mêmes peinent à imaginer un endroit sans esclaves – notamment le pays des Alains, qu’ils et elles jugent presque inconcevable.

Le choix de ne pas s’appuyer sur une cartographie précise de l’époque est à la fois une force et une faiblesse : une force, car il permet de se concentrer davantage sur les personnages et leur évolution ; une faiblesse, car il donne parfois l’impression de lire une aventure dans un monde imaginaire. En tant que roman d’aventure, le récit regorge de rencontres au fil du voyage, et certaines figures secondaires rejoignent même le groupe de fugitifs, ce qui peut parfois rendre le suivi des personnages un peu difficile.

Si le titre met en avant Junil, j’ai trouvé que son importance diminuait progressivement au fil du récit. Certes, c’est à cause d’elle qu’ils et elles doivent fuir Nyala, mais j’ai trouvé que des personnages comme Dirmini, Ovide et Trident étaient mieux développés et plus marquants. En revanche, Junil reste relativement énigmatique : peu d’éléments permettent de cerner sa personnalité ou d’observer son évolution au cours du voyage.

En conclusion, j’ai apprécié cette lecture, bien que certaines parties m’aient semblé ardues. Celles et ceux qui aiment la poésie y trouveront un intérêt particulier, car les vers attribués au personnage d’Ovide y sont fréquemment cités. Je lui attribue une note de sept sur dix.

La note – 7/10

Bonne journée
Andy

lundi 24 février 2025

Seule de Nesrine Slaoui – avis de lecture

 


Résumé :

« Deux vies en parallèle.
Celle d’Anissa, une adolescente qui vit à Argenteuil, et celle de Nora, trentenaire parisienne.
La première est victime d’un harcèlement scolaire violent et finira par en mourir.
La deuxième lutte sur tous les fronts à la fois, contre le sexisme et le racisme qu’elle endure au quotidien, et pour ne pas se laisser broyer par une relation de couple nocive.
Qu’est-ce qui les lie, sinon bien sûr de subir la brutalité du monde ? Est jusqu’où faudra-t-til aller pour en finir avec la violence des hommes ?

Inspiré de faits réels qui s’éclairent ‘un l’autre par le détour de la fiction, Seule nous plonge au cœur  de multiples problématiques contemporaines, de l’addiction aux réseaux sociaux à l’intériorisation des comportements genrés, et jusqu’au sujet complexe entre tous de la tégitime défense de femmes en danger de mort. »

Seule est un roman qui raconte l’histoire de deux jeunes femmes issues de générations différentes : Nora, une trentenaire, et Anissa, une adolescente encore au lycée. Malgré cet écart d’âge, elles partagent des luttes similaires. Nora fait face à de nombreux problèmes, notamment dans sa relation amoureuse, mais aussi dans la société, où elle subit à la fois le racisme et le sexisme. Cette dimension intersectionnelle est particulièrement intéressante. De son côté, Anissa est une élève harcelée dans son lycée à Argenteuil. En quête de reconnaissance et d’attention, son quotidien change avec l’arrivée de Dylan, un nouvel élève.

J’ai apprécié les thèmes et les sujets abordés par l’autrice, qui met en lumière les injustices sociales persistantes touchant les femmes racisées, indépendamment de leur âge. Son écriture m’a également séduit, notamment par les touches de poésie qu’elle intègre de temps en temps. Avec moins de 140 pages, Seule est une lecture rapide, mais son contenu reste percutant et parfois difficile, en raison des sujets traités.

Cependant, la brièveté du roman constitue aussi une faiblesse. J’ai trouvé que la rencontre entre les histoires de Nora et d’Anissa se faisait un peu trop rapidement, laissant peu de place au développement des personnages secondaires. Un autre point qui m’a dérangé concerne la quatrième de couverture rédigée par l’éditeur (Fayard), qui en révèle beaucoup trop. Cela a réduit l’impact de certains événements du roman, qui auraient gagné à être découverts au fil de la lecture.

C’est un livre accessible à tous – je suis moi-même un homme cis – et j’ai pu comprendre et ressentir les émotions des personnages dans la plupart des situations. Néanmoins, certaines expériences me restent plus lointaines. Par exemple, je n’ai pas totalement saisi la douleur de Nora face à la déception amoureuse avec son ex. Peut-être que d’autres lecteurs ou lectrices s’y identifieront davantage ? N’hésitez pas à partager votre avis en commentaire.

En conclusion, Seule est une lecture fluide qui aborde des thématiques fortes et pertinentes. Je lui attribue la note de sept sur dix.

La note – 7/10

Bonne journée
Andy

samedi 15 février 2025

L’indésiderable d’Inaam Kachachi – avis de lecture

 


Résumé :

« Taj Al-Moulouk et Widiane sont liées par la mémoire d’un pays, l’Irak. Forcées de s’exiler pour survivre, les deux femmes, qui appartiennent pourtant à des générations différentes, sont devenues amies à Paris, leur terre d’accueil. Une même question les hante : comment accepter le déracinement, la perte du pays qui les a vues naître ? Pour l’une en racontant le passé, pour l’autre en le taisant à tout jamais. Au gré de leurs récits entremêlés se dessine un portrait nuancé de l’Irak du siècle dernier.

Mélancolique ode à un pays englouti par la violence du XXe siècle, ce roman nous emporte dans les puissants souvenirs de ces femmes libres. »

L’indésirable est un roman écrit par la journaliste Inaam Kachachi, d’origine irakienne. Le roman, rédigé en arabe (irakien), traverse différentes époques – depuis l’époque où l’Irak était un royaume, jusqu’aux années 1950, puis la transition vers une république. Il met en scène des personnages principaux contraints à l’exil en raison de la situation politique.

On suit Taj Al-Moulouk, une journaliste à Bagdad – une profession rarement exercée par des femmes à son époque. Widiane, une musicienne d’origine irakienne également, est notre deuxième protagoniste ; elle appartient à une génération différente de Taj et ne partage pas sa nostalgie pour l’Irak. Enfin, le troisième personnage principal est Mansour, un palestinien qui a dû se réfugier au Pakistan après la Nakba de 1948 en Palestine.

Les trois personnages ont des vies très différentes. Taj, issue d’une famille très conservatrice, chérit sa liberté en tant que journaliste et apprécie côtoyer des hommes influents, comme le roi d’Irak. Plus tard, elle s’installe au Pakistan et devient présentatrice à la radio arabe, où elle entre en contact avec Mansour.

Le roman traverse plusieurs pays, continents et époques, ce qui est un des aspects que j’ai particulièrement appréciés. En suivant Taj et Mansour, on voyage en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, et on explore les bouleversements politiques et sociaux de ces régions. Le thème de l’exil est omniprésent : aucun des trois personnages ne peut retourner dans son pays d’origine en raison de la situation politique, que ce soit en Irak ou en Palestine.

J’ai écouté une interview d’Inaam Kachachi sur France Culture, où elle explique que tous les personnages du livre sont inspirés de personnes réelles. Il y a eu une journaliste irakienne qui a voyagé partout et mené une vie particulièrement « intéressante », ainsi qu’un homme politique palestinien exilé au Venezuela et une jeune musicienne irakienne (Widiane) dans son entourage. Cela dit, j’ai trouvé que c’était aussi une faiblesse du roman : l’autrice en a fait une sorte de biographie de Taj Al-Moulouk, racontant sa vie depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, ce qui dilue parfois l’intrigue.

Même si l’autrice affirme s’être basée sur des faits réels, j’ai trouvé certains éléments difficiles à croire, notamment la manière dont Taj Al-Moulouk est dépeinte comme une sorte de James Bond irakienne. Une scène en particulier m’a semblé exagérée : lorsqu’elle prétend avoir sauvé la résistance algérienne contre l’agression française. Nous avons tous tendance à embellir notre passé, surtout lorsqu’il ne peut plus être vérifié, et j’ai l’impression que l’autrice a pris ces récits pour argent comptant, sans les remettre en question.

Le roman aurait gagné en qualité si l’autrice s’était davantage concentrée sur certaines périodes clés de la vie de Taj, plutôt que d’en faire un récit biographique exhaustif. De plus, avec trois personnages principaux, je me suis parfois perdu en cours de lecture et j’ai eu du mal à suivre leurs histoires respectives.

En conclusion, je dirais que le roman avait un énorme potentiel, mais qu’il souffre de certaines faiblesses qui ont terni mon plaisir de lecture. Toutefois, la construction des trois personnages et l’analyse politique des différents pays sont des points positifs. En fin de compte, mon avis reste mitigé : il y a des aspects que j’ai appréciés et d’autres qui m’ont laissé sceptique. Je donne donc au roman la note de cinq sur dix.

La note – 5/10

Bonne journée
Andy

samedi 8 février 2025

Kallocaïne de Karin Boye – avis de lecture

 


To read my book review in English, click here

Résumé :

« Dans une société où la surveillance de tous, sous l'oeil vigilant de la police, est l'affaire de chacun, le chimiste Leo Kall met au point un sérum de vérité qui offre à l'État Mondial l'outil de contrôle total qui lui manquait. En privant l'individu de son dernier jardin secret, la kallocaïne permet de débusquer les rêves de liberté que continuent d'entretenir de rares citoyens. Elle permettra également à son inventeur de surmonter, au prix d'un viol psychique, une crise personnelle qui lui fera remettre en cause nombre de ses certitudes. Et si le rêve des derniers résistants, une mystérieuse cité fondée sur la confiance, n'en était pas un ? Kallocaïne est le chaînon manquant entre Fahrenheit 451, Le meilleur des mondes et 1984. Dès 1940, la dystopie visionnaire de Karin Boye interroge les limites, s'il y en a, du contrôle que peut exercer un État totalitaire sur ses citoyens. »

A noter : C’est un roman écrit en suédois et j’ai lu sa traduction anglaise

Kallocaïne est un roman dystopique écrit par l'autrice suédoise Karin Boye durant l'entre-deux-guerres. L’histoire se déroule dans un futur dystopique où un gouvernement mondial, traduit en anglais par l’Etat mondial, exerce un contrôle absolu. Ce régime est, à bien des égards, inspiré de l'Union soviétique. L’autrice écrit ce roman dans les années 1930, à une époque où la bataille idéologique fait rage entre le modèle individualiste de marché des Etats-Unis et le modèle collectif soviétique, et elle en propose ici une vision dystopique.

Le personnage principal, Leo Kall, est un scientifique travaillant pour l’armée de l’Etat mondial. Patriote fervent, il est convaincu que tous les traîtres doivent être « éliminés » pour préserver le régime. Il met au point un sérum qui, une fois injecté, contraint la personne à dire la vérité et à révéler toutes ses pensées opposées au régime. Il baptise cette invention de son propre nom : Kallocaïne. Cependant, il est aussi un personnage profondément anxieux, persuadé que sa femme est amoureuse de son supérieur, Rissen. Obsédé par l'idée d’obtenir la vérité d’elle, il se retrouve entraîné dans une spirale de problèmes qui constituent le cœur du roman.

Pour ma part, ce roman ne m’a pas convaincu ; j’ai trouvé que l’univers créé par l’autrice manquait de connexion avec la réalité. J’aurais aimé en apprendre davantage sur le fonctionnement de cet Etat mondial, mais l’intrigue se déroule principalement dans une salle d’interrogatoire où Leo administre la Kallocaïne aux épouses de soldats pour obtenir des informations sur eux. Il n’y a aucune indication sur l’événement qui a conduit à la consolidation de cet Etat, ni de descriptions du quotidien : à quoi ressemblait le paysage, quel temps faisait-il, comment les habitant.es occupaient-ils leur temps libre (même s’il s’agissait de regarder des émissions de propagande, par exemple) ?

J’ai trouvé l’idée de base intéressante, surtout dans le contexte historique de l’époque, où certains pays s’orientaient vers une économie planifiée et une société collectiviste, et où l’autrice imagine une version dystopique de cette évolution. Cependant, elle semble hésiter entre construire son univers et explorer les insécurités de Leo, et au final, elle ne parvient à approfondir ni l’un ni l’autre.

Ce n’est pas un roman très long, mais j’ai trouvé sa lecture laborieuse. La science-fiction et les romans dystopiques ne sont pas mon genre de prédilection, mais je pense lui avoir donné une chance honnête. Pour un lecteur comme moi, le livre aurait pu mieux fonctionner si l’autrice avait clairement choisi un axe principal et relégué l’autre à un rôle secondaire au lieu de tenter d’équilibrer les deux. Alors, j’attribue au roman la note de trois sur dix.

La note – 3/10

Bonne journée,
Andy